Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/336

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quelque douleur qu’il euſt en l’ame ; il aida de ſa propre main à porter cét illuſtre bleſſé, juſques à une Chambre baſſe où il fut mis ſur un lict. Mais ce Prince affligé en recevant civilement les bons offices de Cyrus, le faiſoit bien pluſtost par ſa propre conſideration, que parcelle de la vie qu’il vouloit perdre, & que Cyrus luy vouloit conſerver : en ordonnant comme il fit à ceux qu’il laiſſa aupres de luy, d’en avoir tous les ſoings imaginables.

Apres cela Cy rus monta à cheval : & voyant qu’il ne pouvoit encore ſatisfaire ſon amour, par la liberté de ſa Princeſſe : il voulut du moins ſatisfaire ſa gloire, faiſant la plus hardie action du monde. A chaque pas qu’il faiſoit, il recevoit advis ſur advis des Troupes qui ſortoient d’Artaxate : mais quelque grand qu’on luy repreſentast ce peril, il fut touteſfois ſe mettre à la teſte des ſiennes : reſolu de combattre, quand meſme il ſeroit attaqué par cent mille hommes. En effet ſi le Roy d’Arme nie l’euſt entrepris, il n’y en euſt eu gueres moins : car depuis une petite vallée qui s’abaiſſe preſques imperceptiblement, & qui eſt au deſſous de l’eminence où Cyrus s’eſtoit poſté, juſques à Artaxate ; toute la Campagne eſtoit couverte de Troupes Ennemies : qui firent meſme ſemblant d’avoir intention de combattre : car le Roy d’Armenie tint Conſeil de guerre pour cela, hors des Murailles de la Ville, & s’avança juſques à un Vilage où il fit alte, qui eſt fort proche de ce petit Vallon qui ſeparoit les deux Armées. Cependant le Grand Cyrus demeura ferme en ſon Poſte : regardant touſjours fierement cette multitude innombrable d’Ennemis, qui n’oſoient pourtant l’attaquer. Il conduiſit meſme cette grande action avec