Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/381

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j’avois trempé mes mains dans le ſang de ſon Pere & de ſes Freres. Les Dieux sçavent que ce n’eſt pas par foibleſſe que l’ambition cede à l’amour dans mon ame : & je ſuis ſi ſatisfait du teſmoignage ſecret de mon courage, que je ne me ſoucie pas de ce que l’on en penſera. Mais vous ma chere Sœur, qui n’avez pas l’ame ſensible à cette tendre paſſion, ne l’aurez vous point un peu plus ambitieuſe que moy ; & vous reſoudrez vous à perdre deux Couronnes ? Ne le faites pas je vous en conjure : eſcoutez le Prince Sinneſis, & n’eſcoutez pas le Prince Arſamone : car auſſi bien par quelle voye peut il eſperer de venir à bout de ce grand deſſein ? Il y a vingt cinq ans qu’il la cherche ſans la pouvoir trouver : il m’a eſlevé comme devant eſtre Sujet, & il veut preſentement vous empeſcher d’eſtre Reine, ſans eſtre en pouvoir de me faire Roy. Car où ſont ſes intelligences ? où ſont ſes Armées ? & où eſt le lieu de ſa retraitte pour ſa ſeureté ? Il ne peut donc avoir nul deſſein, que celuy de faire une conſpiration, contre la perſonne de ces Princes : mais il l’executera ſans moy : ou pour mieux dire il ſe perdra ſans moy, puis que ce qu’il veut tenter eſt impoſſible. Reſolvez vous donc ma Sœur, à recevoir l’affection du Prince Sinneſis : car enfin ſi une fois vous eſtes Reine de Pont & de Bithinie, le Prince Arſamone ne voudra pas, quoy qu’il puiſſe dire, renverſer un Throſne ſur lequel vous ſerez. Il vous a permis de diſſimuler, & à moy auſſi : diſſimulons donc, pourſuivit il, mais faiſons que cette diſſimulation ſoit pour luy. Je ne veux (et les Dieux le sçavent bien) faire jamais rien contre le reſpect que je luy dois, en toutes les choſes où mon amour n’aura point d’intereſt mais quand il