Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/419

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dans les Jardins du Palais, afin d’y prendre l’air : car je voyois un ſi grand changement en ſon taint, que j’avois peur qu’elle ne tombaſt malade. Comme nous y fuſmes, elle choiſit une Allée ſombre & eſtroite, qui eſtant paliſſadée des deux coſtez, entre les grands Arbres qui la couvrent, fait que c’eſt la plus melancolique, & pourtant la plus agreable choſe du monde : car il y a deux fontaines aux deux bouts & une an milieu, de qui le murmure excite encore à la reſverie. La Princeſſe ayant donc choiſi cette Allée pour ſe promener, elle n’y voulut eſtre accompagnée que de moy, pour qui elle n’avoit jamais eu cette crainte, que les jeunes perſonnes ont accouſtumé d’avoir pour celles qui prennent en quelque façon garde à leurs actions : parce que comme je n’eſtois d’un âge aſſez avancé pour luy donner de l’averſion, & que je l’avois touſjours pluſtost conſeillée avec reſpect & ſoumission, qu’avec orgueil & ſuffisance, elle vivoir aveques moy dans une ſincerité, & dans une confiance tres obligeante. Apres avoir donc repaſſé tous ſes malheurs, & donné beau coup de larmes à la memoire de Sinneſis : elle donna quelques unes de ſes penſées au malheureux Spitridate. N’eſt il pas vray Heſionide, me dit elle, que ce Prince eſt bien infortuné, de perdre un Royaume, en perdant meſme la Perſonne pour qui il s’eſtoit reſolu de le perdre ? Car enfin le Roy mon Frere, quand meſme Arſamone l’auroit delivré, ne conſentiroit jamais à ſou bonheur : tant par ce qu’il ne l’aime pas, que parce qu’il aime Pharnace : Ainſi je me voy expoſée à une perſecution eſtrange, dés qu’il ſera arrivé. Encore diſoit elle, ſi Spitridate sçavoit la juſtice que je