Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/420

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rends à ſon merite, & combien j’obeïs exactemement au Prince Sinneſis mon Frere, j’aurois quelque conſolation, de ce qu’il ſeroit conſolé : mais il ne plaiſt pas à la Fortune, & je n’ay qu’à me preparer à tous les malheurs imaginables. Madame, luy dis-je, il ne faut jamais s’affliger avec excès, des maux qui ne ſont pas encore arrivez, parce que peut-eſtre ils n’arriveront jamais : & puis, adjouſtay-je, croyez vous eſtre auſſi obligée de ſuivre les volontez du Roy voſtre Frere, que celles les du feu Roy voſtre Pere ? Si je n’eſtois que ſa Sœur, repliqua t’elle, je penſe que cela ne ſeroit pas égal : mais eſtant ſa Sujette auſſi bien que je ſuis ſa Sœur, je ſuis auſſi obligée de luy obeïr, que je l’eſtois au feu Roy mon Pere. Apres pluſieurs ſemblables diſcours remarquant que la nuit s’approchoit (car comme nous n’eſtions encore qu’au Printemps les jours n’eſtoient pas extréme ment longs) je voulus luy perſuader de ſe retirer, mais voyant que la Lune eſclairoit, elle en creut pas mon conſeil : & elle voulut au contraire s’aller aſſeoir à un des bouts de l’Allée, aupres d’une de ces Fontaines. A peine y eut elle eſté un demy quart d’heure, que je vy approcher un homme, que je creus eſtre un Officier de la Princeſſe, qui venoit luy dire quelque choſe : mais je fus eſtrangement ſurprise, lors que cét homme que je ne pouvois connoiſtre, en un lieu qui n’eſtoit eſclairé que de rayons de la Lune, qui traverſant l’eſpoisseur des Arbres, ne donnoient qu’une aſſez ſombre lumiere ; s’aprochant davantage de nous, Madame (dit il à la Princeſſe en la ſalüant avec beaucoup de reſpect) ſouffrirez vous que le mal heureux Spitridate vienne meſler ſes larmes avec les voſtres, & vienne vous aider à pleindre vos malheurs