hommes. Si je regarde les malheurs du Roy mon Frere je n’ay pas aſſez de larmes pour pleurer ſes infortunes : & ſi je conſidere mes propres malheurs, je les trouve ſi grands, que je ne voy que la ſeule mort, qui les puiſſe faire finir. Encore juſques icy, adjouſtoit elle, j’avois pû aimer Spitridate innocemment : le feu Roy mon Pere l’avoit deſiré : le Prince Sinneſis mon Frere me l’avoit ordonné : mais aujourd’huy, Heſionide, qu’il eſt fils de l’Uſurpateur du Royaume de mon Frere, & du Deſtructeur de ma Maiſon ; quelle aparence y a t’il que je le puiſſe faire ſans crime ? Mais, Madame, luy dis-je, Spitridate n’a pas eſté à cette guerre : il eſt vray, dit elle, mais il ne laiſſe pas d’eſtre fils de l’Uſurpateur du Royaume de Pont : ſi bien que quand la raiſon m’obligeroit à ne l’accuſer pas, la bienſeance du moins voudroit touſjours, que je ne l’aimaſſe plus. Ainſi Heſionide, innocent ou coupable, je ne dois plus voir Spitridate, quand meſme il ſeroit en lieu où je le pourrois : & puis, adjouſta t’elle, en quel lieu de la Terre peut il eſtre, qu’il n’ait point entendu parler de la guerre de Pont & de Bithinie ? Et comment eſt il poſſible que sçachant l’eſtat des choſes, je ne reçoive aucune nouvelle de luy ? S’il a plus d’ambition que d’amour, que ne paroiſt il à la teſte de l’Armée de ſon Pere ? Et s’il a plus d’amour que d’ambition, que ne cherche t’il à me delivrer des mains d’Artane ; & que ne me fait il sçavoir qu’il n’aprouve pas dans ſon cœur, tout ce que fait Arſamone ? J’avouë, luy dis-je, Madame, que le long ſilence de Spitridate, m’eſt abſolument incomprehenſible : Il me l’eſt de telle ſorte, repliqua la Princeſſe en ſouspirant, que je ne voy rien que raiſonnablement j’en puiſſe imaginer que ſa mort. Mais veüillent
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