les Dieux, adjouſta t’elle, qu’il ne ſoit jamais juſtifié dans mon eſprit, par une ſi funeſte voye. Si je voulois vous redire, Seigneur, toutes les pleintes & toutes les reflexions que faiſoit la Princeſſe ſur les malheurs du Roy ſon Frere ; ſur l’inconſtance des choſes du Monde ; & ſur l’innocente paſſion qu’elle avoit dans l’ame, j’abuſerois de voſtre patience : c’eſt pourquoy il faut que je les paſſe legerement : & que je vous die qu’Artane voyant qu’il alloit avoir ſur les bras une Armée victorieuſe, & conduite par un Prince qui venoit de conquerir deux Royaumes, n’eſtoit pas ſans inquietude. Car encore qu’il y euſt de braves gens dans ſon party, il n’en eſtoit pas devenu plus vaillant : Si bien que quelque amour qu’il euſt pour la Princeſſe, je penſe qu’il ſe repentit plus d’une fois, de s’eſtre engagé à ce qu’il avoit fait. Auſſi envoya t’il vers Arſamone, pour luy propoſer quelques articles de paix entre eux : mais comme il vouloit que Cabira luy demeuraſt pour ſa ſeureté, & qu’il vouloit auſſi que la Princeſſe Araminte fuſt touſjours en ſa puiſſance : ce Prince qui la vouloit abſolument avoir en la ſienne, n’y voulut jamais entendre : & ne reçeut pas trop bien ceux qui le furent trouver de ſa part : de ſorte qu’apres ce refus, Artane fut encore plus inquiet qu’auparavant. Bien eſt il vray qu’il eut quelques jours de repos : parce qu’Arſamone tombant malade, fit retarder la marche de ſon Armée, qui venoit deſja contre luy.
Comme les choſes eſtoient en cét eſtat, il arriva un Chevalier à Heraclée, où eſtoit alors la Reine Arbiane (car il eſt bien juſte de luy donner une qualité qu’elle devoit touſjours avoir portée) il arriva, dis-je, un Chevalier, qui portoit un Bouclier où l’on voyoit un Eſclave repreſenté, qui ſemblant avoir à choiſir, de chaines