Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/627

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Alcionide pour quelque autre : & que j’auray le deſplaisir de sçavoir, que ce qui feroit toute ma felicité, ne fera peut-eſtre plus la voſtre. Mais volage & injuſte Amy, adjouſtay-je, ſi vous ceſſez jamais d’adorer cette admirable Perſonne, vous ſerez le plus criminel de tous les hommes. Je ne luy eus pas pluſtost dit cela que je m’en repentis : & que je trouvay au contraire, qu’il y euſt eu quelque douceur pour moy, à aprendre qu’il ne l’euſt plus aimée. Mais je connus bien par la reſponse qu’il me fit, que je n’aurois pas cette bizarre conſolation : & que ſelon les aparences, il aimeroit Alcionide juſques à la mort. Cependant il continua de me dire des choſes ſi touchantes & ſi genereuſes, qu’il vint enfin à bout d’une partie de ma fierté pour luy : je fus pourtant bien aiſe quand la nuit nous ſepara : & que je pûs du moins eſtre Maiſtre de mes propres penſées. Tiſandre s’informa plus exactement de quelque autre, du temps que j’avois eſté à Gnide : & il sçeut par une des Femmes d’Alcionide, comment je l’avois fait ſortir de mon Vaiſſeau avec precipitation, lors qu’elle y eſtoit venuë. Cependant nous nous trouvaſmes le lendemain bien embarraſſez tous deux : je n’oſois preſques plus demander comment ſe portoit Alcionide : & je ne m’en pouvois pourtant empeſcher. Je n’oſois non plus l’aller voir : & Tiſandre, à mon advis, tout genereux qu’il eſtoit, eut des ſentimens bien differents en un meſme jour. Neantmoins comme il eſtoit heureux, & qu’il connoiſſoit bien la vertu d’Alcionide : il luy eſtoit beaucoup plus aiſé qu’à moy d’agir raiſonnablement. Auſſi eut il la generoſité de ne prendre pas garde à cent choſes bizarres que je dis : & de me parler touſjours, avec beaucoup de tendreſſe.