Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/642

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

r’ouvertes : & la perte du ſang l’a fait tomber en une foibleſſe, dont il n’eſt pas encore revenu. Thraſibule demanda, alors la permiſſion à Cyrus d’aller ſecourir ce fidele Ami, qu’il ne pouvoit pourtant aimer, comme il faiſoit auparavant qu’il euſt eſpousé Alcionide : & d’aller aſſister ce cher Rival, qu’il ne pouvoit & ne devoit pas haïr. Mais Cyrus ſe ſouvenant de la prodigieuſe valeur de ce Prince, y voulut auſſi aller : comme ils entrerent dans la Tente où il eſtoit, les Chirurgiens l’avoient deſja fait revenir : touteſfois avec ſi peu d’eſperance de vie, qu’ils dirent à Cyrus qui s’informa d’eux ce qu’ils en penſoient, qu’ils ne croyoient pas qu’il peuſt paſſer le jour. Cependant comme il avoit l’eſprit fort libre, & l’ame fort Grande, il ne parut point eſbranlé par les aproches de la mort : & il agit veritablement en digne Fils d’un Prince reputé un des plus ſages d’entre les Grecs. Il ſoumit d’abord ſa volonté à celle des Dieux : & ſans demander ni la mort ni la vie, il ſe prepara à la premiere, avec une tranquilité admirable : & ſe reſolut à quitter la ſeconde, avec une fermeté ſans égale. Il reconnut Cyrus dés qu’il entra : ſi bien que luy adreſſant la parole, Seigneur, luy dit il, vous voyez que les Dieux m’ont puni d’avoir eu l’audace d’attaquer autrefois une vie auſſi illuſtre que la voſtre ; puis qu’il m’euſt eſté plus glorieux de mourir de la main de l’invincible Artamene, que de celle des Soldats du Grand Cyrus. Et il euſt meſme eſté plus avantageux, adjouſta t’il, au Prince Thraſibule, que la choſe fuſt arrivée ainſi : puis qu’il n’auroit pas eſté ſi malheureux qu’il eſt. Cyrus luy reſpondit avec beaucoup de civilité : & voulut meſme luy donner quelque eſperance d’eſchaper de ſes bleſſures, malgré ce