Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/71

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s’il eſt ſage, par l’impoſſibilité qu’il y a de trouver du remede à ſon mal : à celuy qui eſt abſent, de trouver de la douceur, dans l’eſperance du retour : & à celuy qui eſt jaloux, de chercher ſa gueriſon, par la connoiſſance de la vertu de celle qu’il aime ; ou par celle de ſon propre merite ; ou par le dépit. Vous connoiſſez mal la jalouſie, reſpondit fierement Leontidas, puis que vous croyez qu’elle ſoit capable de raiſonner ſagement : elle qui pervertit la raiſon ; qui trouble les ſens ; & qui renverſe tout l’ordre de la Nature. Les autres maux dont on a parlé, ont du moins cet avantage, qu’on ne les voit qu’auſſi grands qu’ils ſont : Mais la jalouſie eſt d’une nature ſi capricieuſe, ſi bizarre & ſi maligne, qu’elle agrandit tous les objets, comme ces faux Miroirs qu’ont inventé les Mathematiques. Elle fait non ſeulement ſentir les veritables maux, mais elle en ſuppose ; elle en invente ; & en fait ſouffrir qui n’ont fondement aucun, l’avoüe dit alors Marteſie, que Leontidas nous dépeint la jalouſie, d’une façon ſi ingenieuſe, que je ne doute point que s’il a aimé, cette paſſion ne l’ait beaucoup tourmenté. A n’en mentir pas, repliqua t’il, je parle par ma propre experience : & c’eſt ce qui fait que je dois pluſtost eſtre creû, lors que je ſoustiens que la jalouſie eſt le plus effroyable ſupplice que l’on puiſſe endurer. S’il ne faut qu’aporter une ſemblable authorité reprit Thimocrate, pour faire voir que l’abſence comprend tres ſouvent tous les maux que l’amour peut faire ſouffrir, je dois eſtre creû auſſi bien que vous : puis que la meilleure partie de ma vie s’eſt paſſée eſloigné de ce que j’aimois. Je ne vous cederay pas non plus par cette raiſon, reprit Artibie, puis que je n’ay que trop eſprouvé, que la mort de ce que l’on aime eſt la fin de tous les plaiſirs, & l’abregé de toutes les