Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/95

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mes ſoins, mes reſpects, & mes regards : car outre que ce grand nombre d’Amans qui l’environnoient continuellement, m’en oſtoit preſques toutes les voyes : je remarquois encore, quoy que je la trouvaſſe touſjours tres civile, qu’elle m’oſtoit avec adreſſe les occaſions de luy parler en particulier. Joint auſſi que durant quelque temps, la Sœur d’Androclide l’obſedoit de telle ſorte, que je ne pouvois jamais l’entretenir, que de choſes abſolument indifferentes. J’avois beau prier Meleſandre qui n’avoit point de paſſion, de feindre d’aimer cette fille qui ſe nommoit Atalie : afin que luy parlant plus ſouvent, il l’occupait, & me donnaſt le moyen d’entretenir Teleſile : tout cela ne ſervoit qu’à faire recevoir cent faſcheuses paroles à Meleſandre, ſans pouvoir me ſervir de rien.

Mais pour commencer de me faire eſprouver les maux de l’abſence, comme nous eſtions en la plus belle Saiſon de l’année, & que Diophante avoit une Terre au pied du Mont Himette, qui eſt le plus beau lieu de toute la Phocide, il y alloit tres ſouvent : & cinq ou ſix petits voyages qu’il y fit, preſques ſans ſujet & ſans raiſon avec toute ſa famille, me donnerent toute l’inquietude dont un cœur peut eſtre capable. Tous les momens me ſembloient des jours : toutes les heures des années entieres : & tous les jours des Siecles : mais des Siecles faſcheux & incommodes, où le chagrin eſtoit Maiſtre abſolu de mon eſprit. Si je sçavois que Diophante euſt mené compagnie aveque luy, j’en eſtois inquiet : parce que je craignois qu’il ne ſe trouvaſt quelqu’un qui parlaſt pour mes Rivaux. Quand il n’y alloit perſonne, la ſolitude de Teleſile me faiſoit pitié ; & l’ennuy que je m’imaginois qu’elle avoit,