Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/96

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m’en donnoit beaucoup à moy meſme. Lors Qu’Atalie alloit avec elle, j’en eſtois deſesperé : quand elle demeuroit à Delphes, les converſations frequentes qu’elle y avoit avec Crantor, m’affligeoient auſſi eſtrangement : & je n’avois pas un inſtant de repos, tant que Teleſile eſtoit abſente. Delphes me paroiſſoit un deſert ? Toute la Ville, ce me ſembloit, changeoit de face par ſon départ ; & ſon retour luy donnoit ſelon moy un nouveau luſtre. Si je me promenois quelquefois pour fuir le monde, c’eſtoit touſjours du coſté où elle eſtoit ; & je m’y engageay un jour de telle ſorte en reſvant, que je fis pluſtost un voyage qu’une promenade. Enfin le Soleil n’apporte pas un ſi grand changement en tout l’Univers par ſon abſence, que celle des beaux yeux de Teleſile en apportoit dans mon cœur. Encore, diſois-je quelqueſfois, ſi elle sçavoit ſeulement que je l’aime, j’aurois du moins la ſatisfaction de penſer qu’elle ſongeroit peut-eſtre à moy : & que ſi j’eſtois abſent de ſes yeux, je ne le ſerois pas de ſon ame. Mais helas, pourſuivois-je, je ſuis aſſurément encore plus eſloigné de ſa penſée que de ſa preſence : & le malheureux Thimocrate n’occupe nulle place ny dans ſon cœur, ny dans ſa memoire. Eh que veux-je, adjouſtois-je ſouvent en moy meſme, ne vois-je pas Teleſile en tous lieux ? Elle eſt dans mon eſprit ; elle eſt dans mon ame ; elle eſt dans mon imagination ; elle eſt dans ma memoire ; & elle m’occupe tout entier. Il eſt vray, pourſuivois-je, que Teleſile eſt inſeparable de Thimocrate : mais pour eſtre conſolé pendant une ſi cruelle abſence, il faudroit que Thimocrate je fuſt auſſi de Teleſile : & pour ſoulager mes douleurs, il faudroit enfin qu’elle ſoufrist une partie de