Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/97

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ce que je ſouffre : & qu’elle peuſt juger du ſuplice que j’endure, par celuy qu’elle endureroit. Mais ſeroit il equitable, reprenois-je, que la plus aimable & la plus parfaite Perſonne de la Terre, euſt pour moy les meſmes ſentimens que j’ay pour elle ? Non non, je ſuis injuſte dans mes deſirs : & je veux ſans doute des choſes qui ne ſont pas raiſonnables. Je voudrois donc ſeulement, adjouſtois-je, eſtre aſſuré qu’elle ne ſe ſouvinst où elle eſt, de pas un de mes Rivaux : qu’Androclide en particulier n’euſt nulle place en ſa memoire : & que le malheureux Thimocrate en euſt un peu en ſon ſouvenir. L’on me dira peut-eſtre qu’en me pleignant des malheurs de l’abſence, je confonds les choſes : puis qu’il eſt certain qu’il y a pluſieurs ſentimens jaloux qui ſe trouvent meſlez parmy les miens. Mais il eſt pourtant vray que ces cruels ſentimens n’ont jamais eſté dans mon cœur que pendant l’abſence : Et à dire les choſes comme elles ſont, je ne tiens pas qu’il ſoit poſſible d’eſtre abſent de ce que l’on aime, ſans eſtre en quelque ſorte jaloux : & jaloux d’une maniere bien plus cruelle, que ceux qui le ſont par caprice ou par foibleſſe, à la veuë de la Perſonne qu’ils aiment. Car enfin je n’ay jamais pû en la preſence de Teleſile, avoir un ſentiment de cette nature : ma jalouſie a touſjours eſté diſſipée par ſes regards, comme une ſombre vapeur l’eſt du Soleil : & ſon abſence auſſi n’a jamais manqué de faire ſentir à mon ame, tous les maux que l’amour peut cauſer. Cependant il s’épandit ſourdement un aſſez grand bruit dans toute la Ville, que Crantor viſitoit tres ſouvent Atalie : qu’elle agiſſoit puiſſamment pour ſon Frere : & qu’on croyoit que dans peu de jours Androclide eſpouseroit Teleſile.