Page:Segalen - Les Immémoriaux.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le lac lui apparut sans limites et sans fond. Dans l’obscur, surgissaient les croupes de montagnes assombries par les taillis. De pâles filets fluides, miroitant sous Hina, ruisselaient des épaules de la terre, et venaient se perdre dans les eaux froides. Très haut, les nuées accrochées sur les crêtes, nivelaient tous les sommets. D’autres nuages couraient dans le ciel, et leur ombre sur le lac volait comme un coup d’aile brune. Térii frissonnait sous leurs caresses impalpables. Du sol, où plongeait son corps, des haleines montaient, et les gouttes de pluie moites qui détrempaient ses épaules allaient rejoindre la sueur du sol.

Sans doute, rien du prestige ne se trahissait encore. Tous ses membres vivaient toujours à part de la nuit, à part de la terre et des arbres… — des arbres ! des arbres ! — ses fétii, ses compagnons de veille et de miracle ! Il sourit à ces divagations. Non : ce n’était pas le prodige attendu. Pourtant, quoi donc se révélait ainsi ? Car des souffles vivants, exhalés par tous les êtres à l’entour, le pénétraient doucement : l’onduleux dépli des montagnes coulait en lui par ses regards ; les odeurs, le silence même s’animaient de palpitations inconnues. Des parlers obscurs et doux ; d’autres sentiments plus indicibles tourbillonnaient dans sa poitrine. Un charme passa dans sa gorge et ses paupières. Soudain, sans effort ni angoisse, il pleura. Nul ne lui avait révélé ces pleurs sans cause, excepté pour des rites. Il dit :