deviner son amant ? Peut-être rien du tout ; et pourquoi risquer de lui apprendre… Et puis, cela, c’était déjà si lointain, si épars, si confusément entrevu : le bain, les chants, les matelots et ce qu’ils demandaient, et son père, très drôle ! et sa tapa défaite. Surtout, elle tâchait à tenir éveillées ses paupières étonnamment pesantes, cette nuit-là. C’était le plus difficile. Le bateau lui parut soudain se mettre à l’envers. Elle serra son amant qui lui rendit son étreinte. Des matelots couraient autour d’eux ; et celui qui pour un bol de boisson l’avait caressée à loisir, jeta en passant :
— « Allons ! tu es une bonne fille. Tu reviendras demain ? »
Aüté sursauta, et voulut s’enfuir en entraînant son amie. Mais le petit visage pencha au hasard, et tout le corps se mit à vaciller. Comme leurs deux bouches se touchaient, il sentit l’haleine trouble ; il vit les lèvres frissonner, et les jolis yeux noirs — qu’il appelait si tendrement « lumières dans la nuit, » — chavirer vers le front en roulant leurs couronnes blanches. Il la souleva violemment, la tenant dressée comme on tient un cadavre. Elle se cramponnait sur l’échelle. Il l’arracha avec rudesse et l’étendit au fond d’une pirogue.
À demi relevée, elle pesait de sa poitrine sur les genoux d’Aüté, et disait, d’une voix entrecoupée :
— « Mon cher petit tané chéri… » Les seins tressaillaient et tout le corps hoquetait avec de petites plaintes.