Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/102

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Pour essuyer mes pleurs, cent fois tu m’as promis
Que Rome se verrait tous les peuples soumis ;
Qu’à ses Chefs valeureux issus du sang de Troie,
Le Destin donnerait tout l’Univers en proie,
Immuable en tes Lois, qui te change aujourd’hui ?
Jadis ce doux penser consolait mon ennui,
Quand je vis tomber Troie, et crus dans sa ruine
D’un Règne plus puissant voir l’illustre origine ;
Même sort cependant la poursuit en tous lieux,
Quand finiront ces maux, grand Monarque des Dieux ?
Anténor qui des Grecs échappa la furie,
Parvint aux derniers bords de la mer d’Illyrie,
Vit des Liburniens le Royaume écarté,
La source du Timave, et son cours argenté ;
Où la mer s’avançant par neuf boucles fameuses,
Pousse avec tant de bruit ses ondes écumeuses.
Il y fonde Padoue, en paix y tient sa Cour,
Et voit son peuple heureux dans ce plaisant séjour.
Nous que tu reconnais pour ta race immortelle,
Nous, qu’admet dans les Cieux ton amour paternelle,
Par l’ire de Junon, vagabonds sur les eaux,
Voyons loin d’Italie emporter nos vaisseaux :
D’une vertu si rare, est-ce la récompense,
Et des sceptres promis l’infaillible assurance ? »
    Le Père tout-puissant des Hommes et des Dieux
Sourit à la Déesse, et se montre à ses yeux
Avec ce front serein qui chasse les nuages,
Qui de son Trône auguste écarte les orages ;
Il lui donne un baiser, et lui répond ainsi :
    « Déesse de Cythère, apaise ton souci ;
Le sort ne peut changer : dans l’illustre Ausonie
Ton fils élèvera les murs de Lavinie ;
Bientôt tu le verras de ces augustes lieux
Revêtu de splendeur, s’élever dans les Cieux.