Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/118

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Et je crains que bientôt son implacable rage
Ne change ce doux calme en un cruel orage.
Par ruses prévenons ce fatal changement :
Dans le cœur de Didon tu peux en un moment
Allumer pour ton frère une flamme insensée,
Un amour sans remède, et voici ma pensée :
Ascagne en ses vaisseaux fait l’élite des dons
Sauvés des feux de Troie, et des gouffres profonds ;
Il va trouver Didon par l’ordre de son père.
Je le veux transporter au sommet de Cythère,
Ou dans l’heureuse Chypre entre les verts pavots
Le tenir assoupi d’un paisible repos.
Sois pendant une nuit à cet enfant semblable,
Et quand parmi le luxe et les jeux de la table,
Didon en ses transports te prenant en ses bras
Te donnera pour lui cent baisers pleins d’appas,
Fais couler dans son cœur le poison agréable
Et l’invisible feu qui te rend redoutable. »
    Amour descend du ciel, et cachant aux regards
Son arc et son flambeau, ses ailes et ses dards,
Il prend du jeune Ascagne, et l’air, et le visage ;
Tandis qu’aux monts de Chypre en un plaisant bocage
De myrtes amoureux et d’odorants jasmins,
Vénus porte l’enfant si chéri des Destins.
Sa tête doucement est sur elle penchée,
Des pavots du sommeil sa paupière est touchée.
    Déjà chargé des dons, le trompeur Cupidon
Marchait avec Achate au palais de Didon ;
Il vient, et sous le dais d’un ouvrage admirable,
La Reine prend sa place au milieu de la table ;
Auprès d’elle est Enée, et sur les plus beaux lits,
Par ordre ses Troyens sont sur la pourpre assis.
On apporte le pain dans les riches corbeilles,