Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/191

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sur ces bords s’est sauvé du naufrage ?
Qu’en son port, qu’en sa mine il montre de courage !
Il n’en faut point douter, il est du sang des Dieux :
Les sentiments du cœur sont écrits dans les yeux.
Que son destin est grand ! Que grands sont ses faits d’armes !
Et qu’en les racontant il découvre des charmes !
Ah ! si dans mon esprit je n’avais arrêté
De ne laisser jamais ravir ma liberté,
Puisque je pleure encore la malheureuse suite
De ma première amour que la Parque a détruite,
Si je pouvais souffrir les noms jadis si doux
D’amour, et d’hyménée, et d’amant et d’époux,
Peut-être, et j’en rougis, ma Sœur je le confesse,
On me peut reprocher cette seule faiblesse.
Depuis que le poignard d’un frère déloyal
De mon funeste hymen trancha le nœud fatal,
Lui seul m’a pu toucher : je sens naître en mon âme
Un trouble qui ressemble à ma première flamme ;
Cet aimable étranger seul a blessé mon cœur.
Mais que du Roi des Dieux le tonnerre vengeur
De l’éternelle nuit perce les antres sombres,
Et me plonge vivante entre les pâles Ombres ;
Que la terre plutôt s’entrouvre sous mes pas,
Que ma vertu combatte, et ne triomphe pas.
Que celui que j’aimai d’une amour si fidèle,
Seul la conserve encor dans la nuit éternelle. »
    Elle finit ces mots par un torrent de pleurs ;
Anne par ce discours veut calmer ses douleurs.
    « Voulez-vous pour une Ombre, ô charmante Princesse,
Avecque tant d’appas vieillir dans la tristesse,
Et passer dans les pleurs le plus beau de vos ans ?
Il est doux de revivre en d’aimables enfants.