Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/193

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font fumer les autels,
De Cérès, dont les lois soumirent les mortels,
Et surtout de Junon, de l’hymen tutélaire,
Par qui ce nœud fatal n’est qu’heur, ou que misère.
En présence des Dieux qu’invoque son amour,
Didon par ses présents solennise ce jour,
Prend une coupe d’or qu’elle-même elle épanche
Sur le milieu du front d’une génisse blanche,
Fait le tour de l’autel, et cherchant ses destins,
Attache un œil avide aux fumants intestins.
O des trompeurs devins erreur vaine et grossière !
Que sert contre l’amour ni temple ni prière ?
Le feu coule en ses os et consume son cœur,
Aveugle elle se plaît dans sa douce langueur ;
Par la ville elle court mortellement blessée
Du trait envenimé qui la rend insensée.
    Ainsi quand le pasteur lance de loin ses traits
Sur une jeune biche en un bocage épais :
La flèche qu’il pensait au hasard décochée,
Blesse la bête au flanc, y demeure attachée ;
Elle fuit, et fendant et la plaine et le fort,
Elle emporte avec elle, et la flèche, et sa mort.
    Tantôt se promenant sur les murs de Carthage,
Didon fait à son hôte admirer son ouvrage ;
Tantôt pour le charmer elle étale à ses yeux
Les antiques trésors des grands Rois ses aïeux.
Au milieu d’un discours sa langue embarrassée
Refuse la parole à sa triste pensée.
Le soir elle a recours aux superbes festins,
Veut encor de Pergame apprendre les destins ;
Au discours du Troyen demeure suspendue,
Et n’en peut détacher son esprit ni sa vue.
Quand le profond silence et l’ombre de la nuit
Rappellent le sommeil, et dissipent le bruit,