Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/194

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Sur son lit, seule et triste, elle se fond en larmes,
Se redit du héros les exploits et les charmes :
Absente elle le voit, et l’entretient absent.
Parfois prenant Ascagne, en ses bras le pressant,
Elle croit dans le fils voir l’image du père,
D’un véritable amour remède imaginaire.
On ne voit plus du port l’ouvrage s’avancer,
Ni l’ardente jeunesse aux combats s’exercer ;
Sur le sommet des tours la garde se relâche,
L’artisan paresseux abandonne sa tâche,
Et semblent s’abaisser ces murs audacieux
Dont l’orgueil menaçait de monter jusqu’aux cieux.
    Junon qui voit du Ciel la malheureuse Reine,
Sans soin de son honneur, se plaire dans sa peine,
Aborde par ces mots la charmante Cypris :
    « Ta victoire est parfaite, et tout cède à ton fils :
C’est venger hautement la chute de Pergame,
Deux grandes Déités triomphent d’une femme.
Je sais que dans ton cœur de soupçons agité,
Tu vois d’un oeil jaloux ma naissante cité ;
Mais pourquoi tant de soins, si par un hyménée
Cette guerre entre nous peut être terminée ?
Tes vœux sont exaucés, Didon brûle d’amour,
Et son cruel tourment augmente nuit et jour ;
Fais plutôt que ton peuple à mon peuple s’unisse
Sous de communes lois et sous un même auspice,
Et qu’au Roi des Troyens Didon avec son cœur
Soumette de ses murs la future grandeur.
    Vénus qui reconnaît que par ce feint langage
Junon veut seulement assurer à Carthage
La gloire réservée à l’empire Romain,
Répond, et dans son cœur rit d’un projet si vain :
    « Qui pourrait au mépris d’une offre avantageuse
Préférer à la paix une guerre douteuse ?