Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/202

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Lui ravit la fortune et la gloire Romaine. »
    Ce discours achevé, l’Ambassadeur des Dieux
Quitte la forme humaine, et se dérobe aux yeux.
Cependant le Troyen, comme frappé du foudre,
Immobile, interdit, ne sachant que résoudre,
Sent sa langue attachée, et ses cheveux dressés
Du saint étonnement dont ses sens sont glacés.
Si de l’ordre des Dieux sa raison est troublée,
Du penser du départ son âme est accablée.
Son esprit balançant, inquiet, incertain,
Ne peut suivre un conseil, ni former un dessein.
Et par où commencer pour résoudre la Reine
A la nécessité de sa fuite inhumaine ?
Agité de soucis, et pressé de douleur,
Il conçoit ce penser qu’il juge le meilleur.
Il appelle Mnesthée, et Sergeste, et Cloanthe ;
Leur découvre en secret l’ennui qui le tourmente ;
Leur ordonne de faire équiper ses vaisseaux,
Et de feindre un prétexte à ses projets nouveaux,
Tandis qu’il cherchera l’occasion propice
De préparer Didon par un sage artifice ;
Et que par ces raisons, par un discours accort,
Il pourra modérer son amoureux transport.
Il le juge terrible, et sait bien qu’en son âme
Elle ne prévoit pas la fin de cette flamme.
    Cet ordre par les Chefs soudain exécuté
Signale leur adresse et leur fidélité.
    Mais la Reine aussitôt voit la ruse évidente,
Car peut-on rien cacher aux regards d’une amante ?
Son cœur à qui l’amour fait tout appréhender,
Croit perdre à tout moment ce qu’il croit posséder.
Ce même monstre ailé qui ne saurait rien taire,
Si prompt à publier tout ce qui peut déplaire,
Redouble ses soupçons, et lui fait pressentir