Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/203

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Qu’on équipe les nefs, qu’on s’apprête à partir.
Alors de sa raison elle est abandonnée,
Elle court par la ville, aveugle et forcenée ;
    Telle qu’une Bacchante aux jours mystérieux,
Qu’elle sent de son Dieu les transports furieux,
Qu’elle perce les bois, ou vole par les plaines
Aux nocturnes clameurs des montagnes Thébaines.
    Elle découvre enfin son fugitif Héros ;
Lui jette un fier regard, et l’aborde en ces mots :
    « Perfide, espères-tu dans ton âme infidèle
De me dissimuler ta fuite criminelle ?
D’échapper de ces bords au mépris de ta foi ?
Et de pouvoir tromper qui t’aime autant que moi ?
Ni cette ardente amour par tant de fois jurée,
Ni l’honneur, ni ma mort par ta fuite assurée,
Rien ne peut te fléchir, tu veux m’abandonner ;
Ni l’hiver, ni les vents, rien ne peut t’étonner.
Que si loin de chercher une terre inconnue,
Troie encore cachait son orgueil dans la nue,
Malgré tous les appas d’un si charmant séjour,
Tu voudrais un temps propre à cet heureux retour.
Tu me fuis, ah ! cruel, par notre hymen funeste,
Par ces pleurs (puisqu’enfin je t’ai donné le reste)
Et par tant de serments d’une immortelle ardeur,
De mes cuisants ennuis mesure la grandeur.
Si tu n’es point encore insensible à mes larmes,
Si jamais mon amour eut pour toi quelques charmes,
Suspends le coup mortel qui me perce le sein,
Change, ou diffère au moins ton barbare dessein.
Tout mon peuple me hait, et tu causes sa haine,
Je ne vois qu’ennemis dans la terre Africaine.
Ils m’aimaient tous, ces Rois que tu rendis jaloux ;
Et pour toi j’ai perdu le plus grand bien de tous,
L’irréprochable honneur, la renommée entière