Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/204

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Qui me faisait marcher si superbe et si fière.
Ah ! Prince (puisqu’enfin la peur de ton courroux
Interdit à ma voix le charmant nom d’époux)
A qui me laisses-tu, désolée et mourante ?
Que fais-je de ma vie ? Et quelle est mon attente ?
Qu’Hyarbe triomphant m’ôte la liberté ?
Qu’un Frère sans pitié saccage ma cité ?
Au moins si d’un mari sitôt abandonnée,
Pour gage il me restait de mon triste hyménée
Un fils qui seulement dans son air, dans ses traits,
De son Père infidèle eût les moindres attraits,
Il me consolerait de ta barbare fuite ;
Je ne me croirais point entièrement séduite. »
    Pendant tout ce discours, toujours devant les yeux
Enée eut l’ordre exprès du Monarque des Dieux ;
Enfin il parle ainsi, resserrant dans son âme
Le souci qui le ronge, et l’amour qui l’enflamme.
    « Reine, ne pensez pas que je puisse jamais
Cesser de publier tant d’insignes bienfaits :
Je vanterai partout cette bonté suprême ;
Plutôt que l’oublier, je m’oublierai moi-même ;
Et ne m’accusez pas d’échapper en secret
D’un lieu que j’abandonne avec tant de regret.
Il est vrai toutefois que par ma destinée
Je ne puis me soumettre au joug de l’hyménée ;
Je le voudrais en vain, le sort règle mon choix.
Hélas ! sans que mes jours dépendent de ses lois,
Sur les restes affreux du fer, et de la flamme,
Dès lors pour relever la chute de Pergame,
J’aurais borné ma gloire à pousser jusqu’aux Cieux
Les superbes palais des Héros mes aïeux.
Mais le grand Apollon, et son saint interprète,
Aux beaux champs d’Ausonie ont fixé ma retraite.
Ce climat bienheureux, ce fortuné séjour,