Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/205

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Doit être ma patrie, et vaincre mon amour.
Reine, considérez l’amour où vous engage
L’ouvrage de vos mains, cette noble Carthage.
Voulez-vous m’envier les rivages Latins ?
Voulez-vous résister à l’ordre des destins ?
La nuit quand l’épaisseur de ses funèbres voiles
Ote au jour son empire, et le donne aux étoiles,
Sous quelque étrange forme, à toute heure, en tous lieux,
L’image de mon Père apparaît à mes yeux ;
Et je fais à mon fils cette injure cruelle
De lui ravir le sceptre où son destin l’appelle.
Naguère encor du ciel le vite messager,
J’en jure par les Dieux, d’un vol prompt et léger
Est venu de la part du Maître du tonnerre
M’ordonner de partir de l’Africaine terre.
Quand je le vis entrer dans vos nouveaux remparts,
Le soleil brûlait tout de ses ardents regards.
Sa voix perça mon cœur de mortelles atteintes ;
Et pour vous, et pour moi cessez ces vaines plaintes :
Malgré moi l’on m’entraîne aux Italiques bords. »
Pendant qu’il parle ainsi, Didon dans ses transports,
Roule de tous côtés ses yeux vifs de colère ;
D’un regard furieux elle le considère,
L’observe, l’étudie, et d’un ton plein d’aigreur,
En ces termes enfin exprime sa fureur :
« Tes discours de Dardan démentent la noblesse,
Perfide, et tu n’es pas le fils d’une Déesse :
Parmi ses durs rochers Caucase t’enfanta,
Dans ce climat barbare une ourse t’allaita ;
Car pourquoi me contraindre après un tel outrage ?
En est-il un plus grand ? Ai-je ému son courage ?
A-t-il d’un seul regard consolé ma langueur ?
A-t-on vu soupirer son insensible cœur ?