Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/206

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Et le funeste objet d’une amante éperdue
Lui coûter une larme à regret répandue ?
Par où commencerai-je ? Ah Dieux ! Ah Dieux vengeurs !
De quel œil voyez-vous mes étranges malheurs ?
Sur la foi des mortels, insensé qui s’engage !
Rebut des Aquilons jeté sur mon rivage,
J’ai reçu ses vaisseaux, j’ai sauvé ses soldats,
Je l’ai fait plus que moi maître de mes Etats.
Ah ! Mon esprit s’égare à ces pensers sinistres ;
Tantôt Apollon même, ou ses sacrés ministres,
Tantôt du Roi des cieux le volant messager
Fend les airs par son ordre, et le force à changer.
Des Dieux sur ce sujet la cour est assemblée,
Et la tranquillité des morts en est troublée.
Je ne t’arrête point ; va, suis les vents légers ;
Cherche par les écueils ces sceptres étrangers :
S’il est des Déités qui punissent les crimes,
Mon espoir est qu’un jour dans le fond des abîmes,
Souffrant le châtiment d’avoir trompé Didon,
Ton infidèle bouche invoquera son nom.
Le flambeau dans la main, te poursuivant sans cesse,
Fantôme épouvantable à ton âme traîtresse,
(Car ta fuite barbare assure mon trépas)
Tu me verras partout attachée à tes pas.
Les Dieux seront forcés de me rendre justice,
Et jusqu’aux enfers j’apprendrai ton supplice. »
Interrompant soudain ce discours emporté,
Languissante elle fuit le monde, et la clarté,
Et laisse le Troyen dans sa douleur confondre
Tout ce que son amour s’apprêtait à répondre.
Prête à s’évanouir, on voit qu’elle pâlit,
Ses femmes accourant l’emportent sur son lit.
Le Héros affligé gémit, pleure, et soupire,