Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il voudrait modérer ce rigoureux martyre ;
Mais tout gêné qu’il est d’un amour furieux,
Il ne peut résister aux volontés des Dieux.
Il rejoint ses vaisseaux, et du haut de la rive,
A son commandement sa troupe fugitive
Traîne en mer ces grands corps noirs de gluante poix ;
Amphitrite gémit sous leur énorme poids.
Les longs chênes encore couverts de leur écorce
Marchent sur les rouleaux que l’on tourne de force ;
Les avirons encore ont leurs feuillages verts
Partout paraît la fuite en mille apprêts divers ;
De toutes parts accourt la bouillante jeunesse,
Que l’ardeur du départ réveille, échauffe, empresse.
Ainsi quand pour combler ses greniers souterrains,
La soigneuse fourmi fait l’amas de ses grains,
Prévoyant de l’hiver la froidure prochaine :
Le noir bataillon marche et brille sur la plaine ;
Par un sentier étroit leur butin conduisant,
Elles semblent plier sous le fardeau pesant ;
Les unes au secours accourent diligentes,
D’autres semblent hâter la marche des plus lentes,
Resserrer qui s’écarte, ordonner à propos :
Partout fuit la paresse, et l’indigne repos.
Quels étaient tes pensers, ô malheureuse Reine,
Dans ce grand appareil d’une fuite certaine ;
Quand du haut de tes tours, aux cris des matelots,
Tu voyais bruire l’onde, et bouillonner les flots ?
Inexorable Amour, où réduis-tu les âmes
Qui brûlent dans l’ardeur de tes cruelles flammes ?
Aux prières encor tu la fais recourir
Pour ne rien oublier avant que de mourir.
Vaincue et suppliante, elle a recours aux larmes,
D’un orgueil abattu les impuissantes armes.
« Ma