Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/208

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sœur, il m’abandonne, et l’apprêt de ma mort
Avec celui des nefs se hâte sur le port.
Les voiles vont s’étendre, ils rembarquent leurs troupes ;
Et déjà les nochers ont couronné les poupes.
Si j’avais pu prévoir un aussi grand malheur,
J’en pourrais supporter la cuisante douleur.
Daigne avoir toutefois pour une malheureuse
La pitié que j’attends d’une sœur généreuse.
Dans tes discours jadis il trouvait mille attraits,
L’ingrat te faisait part de ses plus grands secrets.
Seule tu sais le temps qu’il est plus accessible ;
Tu sais par où son cœur peut devenir sensible.
Va, ma Sœur, va flatter ce superbe vainqueur ;
Implore l’ennemi qui m’arrache le cœur.
Je n’ai point conjuré la chute de Pergame ;
Je n’ai point dans ses murs porté l’ardente flamme ;
Ai-je offensé les Dieux ? et d’un père si cher
Ai-je troublé la cendre, ou le sacré bûcher ?
Pourquoi refuse-t-il seulement de m’entendre ?
Est-ce trop demander pour un amour si tendre ?
Qu’il tarde, qu’il attende un temps propice et doux,
Qu’il craigne des Autans le terrible courroux.
Ne lui reproche point la foi qu’il m’a donnée ;
Je ne me promets plus que mon triste hyménée
Le force d’oublier ses illustres destins,
Sa charmante Ausonie, et les sceptres Latins.
Ce n’est qu’un peu de temps qu’à ses genoux j’implore ;
Qu’il donne quelque trêve au soin qui me dévore ;
Que je puisse à loisir voir le trouble où je suis,
Et préparer mon âme à mes cuisants ennuis.
Va, ma Sœur, prends pitié du mal qui me tourmente,
Fais pour moi cet effort, j’en mourrai plus contente. »
Ainsi parlait