Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/209

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Didon, et sa fidèle sœur
Porte en vain, et rapporte à son cruel vainqueur
Les tragiques pensers de son amour séduite,
Et le funeste état où son âme est réduite :
Un Dieu cruel et sourd l’empêche d’écouter ;
Pressé par le destin, rien ne peut l’arrêter.
Tel des vents furieux méprisant la tempête,
Un chêne au haut d’un mont sent agiter sa tête :
Ils font trembler le roc ; et les feuillages verts
Aux secousses du tronc obscurcissent les airs ;
Mais plus fier à l’assaut de ces troupes mutines,
Il semble s’affermir sur ses longues racines
Qu’il pousse dans la terre, autant que vers les cieux
Son orgueil fait monter son chef audacieux.
Tel Enée agité de ces diverses plaintes,
De violents soucis sent les vives atteintes.
Mais toujours inflexible, il voit couler ces pleurs,
Et son cœur s’affermit au milieu des douleurs.
Alors à sa fureur la Reine abandonnée,
De la clarté du jour se trouve importunée,
Elle implore la mort ; son destin rigoureux
En hâte le dessein par un présage affreux.
Un jour qu’elle voulait rendre le ciel propice,
Prodige plein d’horreur ! le vin du sacrifice
Se corrompt, se transforme en sang épais et noir ;
Et d’elle seule encor cette horreur se fait voir :
A la Princesse même elle n’ose le dire.
Jadis dans son palais de marbre et de porphyre,
Elle bâtit un temple à son premier époux ;
Et ce lieu de ses soins fut l’objet le plus doux.
Là parmi de longs cris, par son nom appelée,
Du mort elle entendit la clameur redoublée,
Pendant que de la nuit l’épouvantable horreur
De la dolente voix redoublait la terreur.