Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/210

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Par ses gémissements importuns et funèbres,
Le hibou la poursuit dans l’effroi des ténèbres.
De cent fameux devins les présages vantés
Troublent incessamment ses esprits agités.
Amour pour l’accabler de son cruel Enée
Lui fait songer la nuit qu’elle est abandonnée,
Que seule elle se trouve en de lointains climats,
Qu’elle y cherche son peuple, et ne l’y trouve pas.
Tel Penthée, à Bacchus ayant livré la guerre,
Vit deux soleils au ciel, et deux Thèbes en terre,
Quand il fut tourmenté des Euménides sœurs ;
Tel avec leurs serpents et leurs flambeaux vengeurs,
Vit sa mère en tous lieux renouveler sa peine,
Oreste tant de fois agité sur la scène.
Quand de son désespoir Didon sentit l’effort,
Et qu’elle résolut de se donner la mort,
Quand au fond de son cœur, maîtresse de sa rage,
Elle eut tout disposé pour ce tragique ouvrage,
Elle aborde sa sœur avec un front serein,
Et sous un feint espoir cache son noir dessein.
« Séchons nos pleurs, Princesse ; au mal qui me possède
J’ai trouvé, lui dit-elle, un souverain remède.
Si je ne puis fléchir mon barbare vainqueur,
Je sais par où je puis l’arracher de mon cœur.
De ce brûlant climat qui dans la mer profonde
Voit tomber tous les soirs le clair flambeau du monde,
De ces bords, où d’Atlas le chef prodigieux
Soutient les globes d’or qui brillent dans les cieux,
Dans nos murs est venue une antique Prêtresse
Qui sert aux noirs autels de la triple Déesse.
C’est elle qui gardant les célèbres jardins,
De miel et de pavot apprêtait les festins
Au dragon furieux dont les regards avides