Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/213

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Goûter sa part du bien que la nuit a versé.
Sa tristesse redouble, et l’amour renaissante
Au feu de son courroux sa vive ardeur augmente :
Ainsi donc elle roule en ses esprits flottants
Ses différents desseins, ses pensers inconstants.
« Que ferons-nous mon cœur ? Irai-je abandonnée
Des Princes mes voisins mendier l’hyménée ?
Après tant de fierté rechercher bassement
Ceux que j’ai dédaignés pour mon perfide amant ?
Le suivrai-je moi-même, et ses nefs vagabondes
Que ma faveur sauva de la fureur des ondes ?
Ai-je en vain obligé ses chefs, et ses soldats ?
Et peut-il avec lui n’avoir que des ingrats ?
Mais puis-je me promettre, et moquée, et déçue,
D’être par ce barbare en ses vaisseaux reçue ?
Pauvre Princesse, hélas ! reviens de ton erreur,
Et de Laomédon connais le sang trompeur.
Quoi ! sans ressentiment Didon humble et rampante
Suivrait d’un fier vainqueur la flotte triomphante ?
Poursuivons-le plutôt, et courons sur les eaux
Avecque tout mon peuple embraser ses vaisseaux.
Mais ce peuple est celui qu’avecque tant de peines
J’enlevai de Sidon sur ces humides plaines.
Encore épouvanté je le vois qui blêmit
Au seul mugissement de l’onde qui frémit.
Meurs, misérable, meurs comme tu le mérites,
Ta douleur dans ta mort trouvera ses limites.
Tu me perdis, ma Sœur : trop sensible à mes pleurs,
Ta cruelle pitié causa tous mes malheurs.
Que n’ai-je mieux aimé dans mon triste veuvage
Laisser couler mes ans, solitaire et sauvage ?
J’eusse ainsi conservé mes premières amours,
J’arriverais sans tâche au dernier de mes jours. »
Ces soins rongeaient le cœur de l’amoureuse Reine ;