Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/219

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verra du moins le feu de mon bûcher,
Et saura mon trépas qui ne l’a pu toucher. »
D’un coup impétueux de la fatale épée,
Au milieu de sa plainte elle s’était frappée.
Ses femmes à ce bruit à grands pas accourant,
Aperçoivent soudain son corps pâle et mourant,
Le fer teint de son sang, et ses mains étendues.
Le palais retentit, les cris percent les nues,
L’accablante douleur s’épand de toutes parts,
Et la terreur remplit l’enceinte des remparts :
Comme si du vainqueur la barbare insolence
De Carthage, ou de Tyr saccageait l’opulence ;
Ou que des temples saints, des brûlantes maisons,
Le feu de toutes parts élançât ses brandons.
Sa sœur presque sans vie, et de fureur troublée,
Déchire son visage, accourt échevelée,
Fend la presse et s’approche, et proférant son nom
Rappelle à haute voix la mourante Didon.
    « Tel était donc, ma Sœur, ton cruel artifice,
Et c’est là le succès de ce grand sacrifice.
Ce lit, ce bûcher, ces feux, et ces autels
Etaient donc l’appareil de mes ennuis mortels.
Abandonnée aux maux dont je sens les atteintes,
Par où commenceront mes éternelles plaintes ?
Par quel doute outrageux à ma constante foi,
Par quel mépris, cruelle, es-tu morte sans moi ?
Ton sort était le mien, par cette même lame
Même instant de nos jours devait finir la trame.
Je dressai ce bûcher, et conjurant nos Dieux,
Aveugle je servais ton dessein furieux ;
Ainsi ta mort, ma Sœur, est mon funeste ouvrage ;
Je meurs du même coup, et tout meurt dans Carthage :
Ton Peuple, ton Séant, ta Noblesse, ta sœur,
Tout l’empire