Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/93

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Et lui fit ressentir tous les maux de la guerre ;
Avant qu’il pût fonder sa Ville aux champs Latins,
Et de ses Dieux errants y fixer les Destins,
Par qui la gloire d’Albe est encore vivante,
Le Tibre redoutable, et Rome triomphante.
    Muse, raconte-moi quel crime, ou quel malheur
De la Reine des Cieux irrita la douleur,
Mit en butte aux fureurs d’une haine implacable
Un Monarque pieux, un héros équitable ;
Ces aveugles courroux, ces transports furieux
Peuvent-ils, jusqu’au Ciel, troubler l’âme des Dieux ?
    Vers les sables brûlants de l’Africain rivage,
Furent les murs hautains de l’antique Carthage,
Colonie autrefois des riches Tyriens,
Ville ardente à la guerre, et florissante en biens.
Junon lui confiait, et son char, et ses armes ;
L’agréable Samos pour elle eut moins de charmes ;
Et son plus doux espoir, si le sort l’eût permis,
Fut de voir tout le monde à Carthage soumis.
Mais apprenant qu’un jour elle serait la proie
Du peuple qui naîtrait des ruines de Troie,
Que l’honneur de la guerre et le pouvoir sans fin
Etait déjà promis à l’Empire Latin,
Tel était des Parques l’arrêt irrévocable !
Elle sent dans son cœur un dépit indomptable,
Et ne peut oublier combien en mille assauts
Sa faveur pour les Grecs lui coûta de travaux.
Le rapt de Ganymède irrite son courage ;
Sa beauté méprisée, impardonnable outrage,
De l’amoureux Pâris le fatal jugement,
Contre tous les Troyens l’anime incessamment ;
Et livre à sa colère en vengeances fertile
Ces restes malheureux de la fureur d’Achille,
Repoussés en tous lieux par le sort conjuré