Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/94

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Des rivages fleuris du Tibre désiré.
Depuis longtemps errait la flotte vagabonde,
Le rebut de la Terre, et le jouet de l’Onde ;
Et sur la vaste horreur des gouffres écumeux,
Ils ne semblaient chercher qu’un naufrage fameux ;
Tant était l’entreprise, et pénible, et hautaine
De fonder la grandeur de la Race Romaine.
    Non loin de la Sicile, et par un temps serein,
Leurs Nefs fendaient les flots de leur tranchant airain,
Et la voile étendue, et le vent favorable
Remplissaient tous les cœurs d’un espoir agréable :
Junon qui conservait un dépit plein d’aigreur,
Sentit, à cet objet, rallumer sa fureur :
    « Ont-ils vaincu, dit-elle, et ma haine impuissante
Verra-t-elle aborder leur flotte triomphante ?
Je ne puis l’écarter du rivage Latin,
Et partout je me trouve esclave du destin.
Qui ne sait que Pallas, pour mettre Ajax en poudre,
Sur la flotte des Grecs a pu lancer la foudre,
A pu la dissiper, l’abîmer sous les eaux ?
Pour le crime d’un seul, perdre mille vaisseaux ?
Tout percé, tout brûlant, sa colère implacable
Dans un noir tourbillon enlève le coupable,
Et le précipitant par d’inhumains efforts,
Aux pointes d’un rocher elle brisa son corps.
Et moi, Reine des Dieux du Ciel et de la Terre,
Moi, la femme et la sœur du Maître du Tonnerre,
Je combats contre un Peuple en tous lieux étranger,
Et depuis tant d’Hivers je ne puis m’en venger.
Qui me reconnaîtra désormais pour Déesse,
Et qui craindra Junon après tant de faiblesse ? »
    Roulant ces soins divers dans son coeur irrité,
Son char passe les airs d’un vol précipité,
Et vient aux creux rochers des Eoliques plages,
Le nébuleux séjour