Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/96

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Mais tout ce grand pouvoir ne me vient que de vous :
Par vous, j’ai toujours eu Jupiter favorable ;
Par vous, il me seoir à sa céleste table. »
    Il dit, et d’un grand coup il renverse le mont ;
Echo dans les vallons, à ce grand coup répond.
Des prompts Enfants de l’air la mutine cohorte
Du moindre jour ouvert, s’ouvre une large porte ;
Ils sortent tous en foule, et ce gros bataillon
Elève dans sa course un épais tourbillon.
La Terre en est émue, ils passent sur les ondes ;
La mer en voit ouvrir ses entrailles profondes ;
Eure le redoutable, Aquilon le neigeux,
Et l’humide Africain, plus que tous orageux,
Changent l’azur poli des liquides campagnes
En rochers écumeux, en bruyantes montagnes.
Des cordages, des cris, soudain siffle le bruit ;
Sous un nuage épais, le Ciel, le jour s’enfuit ;
La nuit vient, l’éclair brille, et le tonnerre gronde :
Tout présente la mort aux yeux de tout le monde.
Enée en est surpris, il lève au Ciel les yeux,
Et déplore, en ces mots, son sort injurieux :
    « O trois ou quatre fois mort bienheureuse et belle,
La mort de ces Troyens qui d’une ardeur fidèle
Combattant près des murs de leur triste Cité,
Aux yeux de leurs parents perdirent la clarté !
Pourquoi fils de Tydée, aux combats indomptable,
N’ai-je fini par toi mon destin lamentable ?
Que par les traits d’Achille avec le grand Hector,
Qu’ainsi que Sarpédon, ou mille autres encor,
N’ai-je achevé ma course aux beaux champs de Phrygie,
Du sang même des Dieux, par tant de fois rougie ;
Où le fier Simoïs roule encore les os,
Les casques, les pavois de tant de grands Héros. »
    A ces mots l’Aquilon s’entonne dans les voiles ;