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cette foiblesse même le moyen de nuire. Un ennemi plus puissant est moins funeste ; on proportionne son effort à la grandeur du péril, et l’on est moins en danger par cela même que l’on s’y croyoit davantage.

Les petits maux toujours renaissans montrent la misère humaine par-tout où l’on attendoit un sort meilleur ; en détrompant toujours ils rebutent enfin. Ils font le malheur de la vie, parce qu’ils ôtent l’espérance sans laquelle la vie sociale n’est qu’une longue douleur. À chaque moment nous croyons être mieux, à chaque moment nous sommes pis. La confiance trop abusée s’éloigne sans retour ; et parce que le présent est constamment flétri, on voit dans l’avenir non plus le bien qu’il promet, mais le mal habituel, même celui qu’il n’enfantera pas.

Je préférerois les maux les plus grands à l’importunité des ennuis, et les plus cruels tourmens d’une vie orageuse à l’habitude d’une destinée exempte de grands revers ; mais vide de situations énergiques, fatiguée de mille peines d’un jour, et corrompue par sa propre apathie. Les momens les plus extrêmes sont ceux où l’on vit davantage : à qui n’a pas de grandes joies, il faut de profondes douleurs.