Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/115

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forfaits. Nous portons en tout une sorte d’enthousiasme, un certain besoin de nous livrer à toute la fougue du penchant, dans la colère comme dans la joie, dans la bienveillance, l’amour, les vengeances. Nos vertus sont extrêmes comme nos erreurs ; car il n’est point de détermination sans passion, de passion sans excès, ni d’homme sans passion.

L’on a aimé, dans toutes les parties du globe, ces boissons fermentées, dont les esprits exaltent et agitent jusqu’à l’égarement de l’ivresse. L’infortuné veut oublier un moment et son sort et lui-même, et l’heureux cherche un bonheur plus grand. Le premier degré est celui du bien-être, le second celui de la joie ; viennent ensuite l’oubli, l’égarement, la fatigue et la destruction. Malgré cette progression inévitable expérimentée chaque jour, peu d’hommes savent s’arrêter à ce premier bien-être, et, dans cette joie légère, ne pas chercher une joie plus forte : la plupart sont toujours entraînés par ce besoin d’aller au-delà ; toujours éprouvant et pourtant oubliant toujours qu’il n’est point de bien extrême, et qu’au-delà du sommet commence la chute.

L’opium dans l’Orient, le bethel vers le Gange, le coca dans les mines du Potose ; le