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tabac, le café, les liqueurs spiritueuses chez tous les peuples[1] ont produit des goûts qui ne périront point, quoiqu’ils ne soient pas fondées sur des besoins absolus. Les alimens d’une saveur exquise, et les compositions les plus recherchées lasseront à la longue : le tems en peut faire perdre l’usage ; mais les essences et les boissons spiritueuses ne seront point oubliées tant qu’il y aura sur la terre de la tristesse et de la joie ; tant que l’on y distinguera ce charme indicible d’une existence satisfaite d’elle-même d’avec ce sentiment pénible d’une vie léthargique et fatiguée de sa triste indolence ; tant que l’ivresse secouera les chaînes factices ; tant que la joie sera expansive et confiante, et que le plaisir rapprochera les hommes ; tant que les cœurs opprimés chercheront à boire l’oubli d’une vie misérable…

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… Toute joie exaltée est nécessairement peu durable. Il est entre nos sensations y comme

  1. Le sauvage, à qui les vins et les eaux-de-vie répugnent d’abord, s’y livre ensuite immodérément dès qu’il connoît leurs effets. Les inconvéniens du vin, les dangers de l’opium ne feront renoncer ni l’un, ni à l’autre.