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forte volonté réfléchie n’eut jamais fait ce que fit un desir rapide, involontaire, et qui n’eut pas le tems de se connoître lui-même. Ainsi les passions donnent seules à l’homme une véritable activité ; celle de la raison est plutôt une force d’inertie.

Il est des moralistes qui éteignent toute l’activité des penchans naturels, tout le feu des desirs, et veulent ensuite des vertus qui demandent une volonté forte. Ils prétendent allier deux choses absolument inalliables, l’enthousiasme à la froide réflexion, le zèle à l’indifférence personnelle. De nouvelles passions viennent se substituer d’elles-mêmes à celles qu’ils ont proscrites ; ou plutôt ce sont les mêmes qui, sous d’autres dehors, sont vénérées des aveugles qui les méprisoient, et de profanes, sont devenues saintes. Pour asseoir la morale on veut éloigner toutes les passions dont l’indépendance pourroit en effet la renverser ; mais sans les passions il n’est plus de morale ; et ce danger n’étant que dans l’opposition de la nature humaine avec le système social, et ne provenant que de nos écarts, il peut être détruit par la main qui le produisit. Si l’homme a pu altérer sa nature, sans doute il la peut régénérer.