Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/272

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nos cœurs désenchantés. Seroit-il quel qu’heureuse attente pour nous qui n’avons plus de désirs, ou quelque ardeur vers un terme dédaigné ? La suite de nos années n’est plus qu’une longue fatigue, parce que nous n’aimons rien dans leur durée ; et de même tout ce qu’elles offrent dans leur versatilité, nous paroît insipide, odieux, ou vain, parce que leur durée toute entière est à jamais stérilisée. L’ennui de nos jours rend chacun d’eux pénible ; et le poids de chacun d’eux ajoute à l’ennui de tous. Voudrions-nous chercher en nous des forces que le dégoût a consumé, et nous alimenter de notre propre substance, quand l’inanition est dans notre cœur même ? Voulons-nous recourir à l’austère morale y, toute sévérité demande de la force, et notre mal n’est autre chose que notre foiblesse ; à de grands desseins, ils demandent de l’enthousiasme, et nous sommes froids ; ils veulent de grands efforts, et nous sommes dans l’apathie. Prétendrons-nous vivre en sages : nul ne seroit mieux préparé ; nous sommes désabusée des passions et pénétrés du néant de la vie ; mais il nous faudra le caractère du sage, et c’est ce que nous n’aurons pas ; car le sage est ferme, et nous nous abandonnons : il est