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constant, et nous sommes variables comme les impulsions extérieures : il se passionne pour la sagesse, sachant qu’elle seule mérite d’être aimée ; mais nous, nous ne pouvons rien aimer, parce que nous sentons que la sagesse elle-même est vanité : il se soutient avec énergie, parce qu’il s’estime lui-même ; mais nous, nous foiblissons, parce que nous ne pensons pas que ce soit la peine de faire effort pour rester tels que nous nous proposerions d’être : il est invincible par la conscience de ses succès passés, il est libre parce qu’il peut tout braver ; pour nous, la crainte et la dépendance habituelle ont perpétué notre abaissement ; et nous ne pouvons rien, parce que nous pensons ne rien pouvoir.

L’ame, et j’entends par-là toute la partie intérieure de notre être, s’alimente de ses sensations et de ses pensées, et se modifie selon les objets sur lesquels elle s’exerce ; comme le corps participe sensiblement à la nature des fruits dont il se nourrit, et s’altère ou se perfectionne selon l’habitude de ses travaux. Les occupations qui nous attachent à un intérêt trop limité, aux soins, à l’attention des petites choses, rétrécissent l’esprit, énervent la pensée. L’habitude de ramper ainsi, semble