Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 87 )

exister est le bien suprême. Il peut souffrir un moment, mais non cesser d’être heureux ; car le malheur n’est pas dans la douleur qui passe aussitôt, mais dans la durée des douleurs. Il faut une succession suivie, une continuité dans le mal pour constituer l’état de malheur. Pour lui, il ne sauroit être malheureux, il cesse de souffrir ou bien il cesse de vivre. Tout animal libre vit content et sain, occupé de conserver son existence et non de la supporter : s’il est attaqué, il est en un moment vainqueur ou dévoré ; s’il est blessé, il ne tarde pas à guérir, ou bien il meurt aussitôt. Parmi les hommes mêmes, l’habitant des forêts sauvages connoît le besoin, mais non l’inquiétude, la douleur et non le chagrin. Il peut avoir faim, il peut être blessé ; la faim est appaisée, la blessure est guérie ; tout cela ne dure qu’un jour ; il est sans regret, sans ennui, sans alarmes ; il n’est pas malheureux. Une terre aride ne lui fournit-elle nul aliment, sa chûte est-elle mortelle, ou le réptile qui l’a surpris portoit-il un venin indomptable ? tout cela ne dure qu’un jour encore, il meurt et n’est point malheureux. La vie des êtres connus est généralement indifférente. Quelques instans rapides sont pour