Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/33

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partie principale est une de celles de la Suisse que j’aimerai le moins. La terre et les hommes y sont, à peu de chose près, comme ailleurs : je cherche d’autres mœurs et une autre nature[1]. Si je savais l’allemand, je crois que j’irais du côté de Lucerne, mais l’on n’entend le français que dans un tiers de la Suisse, et ce tiers en est précisément la partie la plus riante et la moins éloignée des habitudes françaises, ce qui me met dans une grande incertitude. J’ai presque résolu de voir les bords de Neuchâtel et le bas Valais ; après quoi j’irai près de Schwitz, ou dans l’Underwalden, malgré l’inconvénient très-grand d’une langue qui m’est tout à fait étrangère.

J’ai remarqué un petit lac que les cartes nomment de Bré, ou de Bray, situé à une certaine élévation dans les terres, au-dessus de Cully : j’étais venu dans cette ville pour en aller visiter les rives presque inconnues et éloignées des grandes routes. J’y ai renoncé ; je crains que le pays ne soit trop ordinaire, et que la manière de vivre des gens de la campagne, si près de Lausanne, ne me convienne encore moins.

Je voulais traverser le lac[2] ; et j’avais hier retenu un bateau pour me rendre sur la côte de Savoie. Il a fallu renoncer à ce dessein : le temps a été mauvais tout le jour, et le lac est encore fort agité. L’orage est passé, la soirée est belle. Mes fenêtres donnent sur le lac ; l’écume blanche des vagues est jetée quelquefois jusque dans ma chambre, elle a même mouillé le toit. Le vent souffle du sud-ouest, en sorte que c’est précisément ici que les vagues ont plus de force et d’élévation. Je vous assure que ce mouvement et ces sons mesurés donnent à l’âme une

  1. Il est à croire que maintenant Obermann s’arrêterait volontiers dans le canton de Vaud, et pourrait le considérer comme une douce patrie.
  2. De Genève ou Léman, et non pas lac Léman.