Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/348

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On croit voir que nos maux tiennent à peu de chose, et que le bien moral est dans la main de l’homme. On suit des conséquences théoriques qui mènent à l’idée du bonheur universel ; on oublie cette force qui nous maintient dans l’état de confusion où se perd le genre humain ; on se dit : Je combattrai les erreurs, je suivrai les résultats des principes naturels, je dirai des choses bonnes ou qui pourront le devenir. Alors on se croit moins inutile, moins abandonné sur la terre : on réunit le songe des grandes choses à la paix d’une vie obscure, et on jouit de l’idéal, et on en jouit vraiment, parce qu’on croit le rendre utile.

L’ordre des choses idéales est comme un monde nouveau qui n’est point réalisé, mais qui est possible ; le génie humain va y chercher l’idée d’une harmonie selon nos besoins, et rapporte sur la terre des modifications plus heureuses, esquissées d’après ce type surnaturel.

La constante versatilité de l’homme prouve qu’il est habile à des habitudes contraires. L’on pourrait, en rassemblant des choses effectuées dans des temps et des lieux divers, former un ensemble moins difficile à son cœur que tout ce qui lui a été proposé jusqu’à présent. Voilà ma tâche.

On n’atteint sans ennui le soir de la journée qu’en s’imposant un travail quelconque, fût-il vain du reste. Je m’avancerai vers le soir de la vie, trompé, si je puis, et soutenu par l’espoir d’ajouter à ces moyens qui furent donnés à l’homme. Il faut des illusions à mon cœur trop grand pour n’en être pas avide, et trop faible pour s’en passer.

Puisque le sentiment du bonheur est notre premier besoin, que pourra faire celui qui ne l’attend pas à présent, et qui n’ose pas l’attendre ensuite ? Ne faudra-t-il point qu’il en cherche l’expression dans un œil ami, sur le