Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/101

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conſtituoient pas inſolemment ſeuls juges dans leur propre cauſe ; ils ſe regardoient humblement comme membres de la ſociété humaine qu’ils reſpectoient ; ils n’aſpiroient point à en être les tyrans ; ils attendoient leur ſuccès & leur gloire du ſuffrage libre de leurs ſemblables : imbécilles célèbres, ridiculement décorés du titre de phiioſophes, ils ne connoiſſoient ni leurs droits, ni leurs fonctions : le croira-t-on ? Ils n’ont jamais dit au Public qu’il étoit un ſot.

La philoſophie étoit encore dans l’enfance ; elle rampoit, elle élevoit ſa voix avec modeſtie ; elle ſe bornoit à des raiſonnemens ſimples, clairs & précis ; elle ne parloit qu’à la raiſon ; elle ne vouloit qu’éclairer & intéreſſer en faveur de la vérité ; elle n’étoit que l’art de penſer & d’inſtruire.

Aujourd’hui elle règne, elle commande, elle tyranniſe ; elle éblouit, étonne, épouvante, ſubjugue ; elle affecte les figures & les ornemens du diſcours ; elle ſéduit par l’imagination, les ſens & les paſſions ; elle n’eſt qu’enthouſiaſme, inſpiration, fougue, violence & délire ; ſes opinions ſont des dogmes, ſes déciſions des oracles, ſes raiſonnemens des myſtères : paradoxe, ſingularité, bizarrerie, orgueil, fanatiſme même, tout lui eſt bon, pourvu qu’elle faſſe du bruit : elle détruit ſes monumens les plus reſpectables de l’eſprit humain ; elle leur ſubſtitue des coloſſes imaginaires, des fantômes aériens, des monſtres brillans ; elle réduit en cendres les loix, les bibliothèques, les trônes & les temples ; elle s’aſſied fièrement ſur les débris de tout ce que les hommes avoient de plus cher & de plus ſacré ; tous les ſiècles