Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/102

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humiliés ſe proſternent ; toutes les générations humaines ſont enchaînées à ſes pieds : les ténèbres univerſelles avoient couvert juſqu’à elle la face de l’abyme ; elle tire le monde du chaos

Telle eſt la magie de ce génie ſublime & tranſcendant que j’adore, reſtaurateur ou plutôt créateur de la philoſophie ; & pour opérer tous ces prodiges, il ne lui en a coûté que quelques phraſes.

Il a crié ſans ceſſe : Vertu, liberté, vérité ; & des hommes vertueux, attirés par ces mots, les ſeuls qu’ils entendiſſent dans ſes écrits, ont accouru en foule & ſe ſont laiſſé conduire par-tout où il a voulu. Les médians ſe ſont dit tout bas : Cet homme-ci nous délivre du joug des loix & de la religion ; il réduit tout à la conſcience, qui ne nous dit rien ; qu’attendons-nous de mieux ? Joignons-nous à lui. Cependant il diſoit : Je mépriſerai tous ceux qui ne croiront pas en moi : les ſots ſe font hâtés de dire : Nous croyons en lui, & le troupeau des ſots eſt devenu tout-à-coup le troupeau des illuminés. La multitude s’eſt écriée : Il parle trop bien pour ne pas penſer de même ; le plus éloquent des hommes doit être le plus ſage ; le plus déciſif doit être le plus éclairé ; le plus audacieux eſt ſans doute le plus ſûr de ſon fait : on eſt tranquille avec lui, on ne doute plus, on décide, on prononce, on ſçait tout en liſant quelques volumes ; on acquiert à peu de frais le droit de mépriſer comme lui le genre-humain paſſé, préſent & futur, & il eſt : plus commode & plus ſûr de ſe réunir au parti qui s’eſt arrogé excluſivement le privilège de dire des injures.