Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/103

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L’aſſertion audacieuſe en impoſoit aux uns ; l’énergie terraſſoit les autres ; ceux-là étoient ſéduits par le charme du langage, ou confondus par la ſublimité de l’orgueil ; ceux-ci tomboient embarraſſés dans les filets de la dialectique, ou s’égaroient dans le labyrinthe des ſubtilités & des inſinuations artificieuſes ; quand les preuves manquoient, l’ironie amère, le ſarcaſme véhément, l’invective éloquente, l’exagération emphatique venoient y ſuppléer : nulle queſtion n’étoit préſentée en face ; toutes n’étoient apperçues que par quelqu’angle iſolé : les circonſtances incommodes étoient écartées ſubtilement ; la comparaiſon des deux termes ſe faiſoit toujours du fort au foible, & ſe décidoit ainſi au gré du diſſertateur ; tous les rayons de lumière étoient raſſemblés ſur un côté de l’objet, les autres faces étoient adroitement couvertes d’un voile ténébreux ; la ſuppoſition la plus abſurde prenoit inſenſiblement la conſiſtance d’une démonſtration en forme ; l’abſtraction victorieuſe s’élevoit ſur les ruines de l’expérience.

On peignoit vivement lorſqu’on ne pouvoit démontrer ; on déſiguroit l’objet réel, on colorioit avec éclat l’objet fantaſtique qu’on vouloit lui ſubſtituer : les faits étoient manifeſtes, il ne s’agiſſoit que de voir, on fermoit les yeux ſur leur évidence : l’imagination créoit à leur place des êtres qu’on n’a jamais vus, qu’on ne verra jamais, des ſauvages accomplis, des Emiies incomparables ; toute poſſibilité, toute impoſſibilité même ſe réaliſoit ſous une plume ardente ; la nature ſeule étoit conſtamment oubliée ; les hommes ſe taiſoient, parce que le raiſonnement n’a