Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/104

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point de priſe ſur une fauſſeté évidente, parce qu’il faudroit des volumes de bon ſens ennuyeux, pour réfuter quelques lignes d’abſurdité ſublime ; ils voyoient tranquillement la philoſophie traverſer l’océan des opinions humaines, paſſer au-delà de la ligne de la vérité, & aller chercher des erreurs nouvelles dans des régions inconnues, & ſous un pole nouveau, ériger toutes ſes phraſes en principes, l’art de raiſonner en commandement de croire, & l’enthouſiaſme d’un côté & la crédulité de l’autre, multiplier les philoſophes comme les ſables de la mer.

O ſiècle de lumière ! O jours brillans de la philoſophie ! Un nouveau jour m’éclaire, une ſainte inſpiration m’élève au-deſſus de moi-même, & je m’écrie avec mon maître : Nous avons des paſſions & des vices, nous n’avons donc que des vices & des paſſions ; la liberté de faire le mal eſt diminuée par les loix, nous n’avons donc point de liberté ; notre conſtitution politique entraîne des abus, dès-lors tout eſt abus ; notre éducation a des défauts, elle eſt donc toute corrompue ; les philoſophes ſe ſont trompés ſouvent ; ils ſe ſont donc trompés toujours ; nous avons des arts frivoles & pernicieux ; ils le ſont donc tous ; il reſte à l’homme ſauvage quelques conſolations & quelques dédommagemens ; il eſt donc l’être le plus ſage & le plus heureux ; l’homme livré aux exercices du corps en devient plus fort & plus robuſte, l’homme qui médite, eſt donc un animal dépravé : oui, je le répète à la face de l’univers, je tiens pour inconteſtables toutes ces conſéquences adoptées par mon maître, & j’en jure par ſon éloquence.