Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eſt dans les mains de quelques hommes ; ils peuvent la perdre, ils peuvent la donner, la prêter, enfin ils peuvent ouvrir eux-mêmes. Sur ces idées, tous ceux qui ont été vus ou apperçus du peintre du veſtibule, s’inquiètent & tremblent, en ſe diſant : peut-être mon portrait eſt à côté.

Si vous leur dites : Vous vous trompez, ils vous répondent : Qui vous l’aſſure ? En attendant, je crains, & la crainte eſt le plus réel des maux de l’homme, comme l’espérance eſt le plus réel de ſes biens.

On réplique : Rouſſeau étoit un homme vrai ; qu’avez-vous à craindre, ſi vous êtes honnête homme ? Et ſi vous ne l’êtes pas, il eſt bon que vous craigniez.

Maïs les ouvrages de Rouſſeau produisent un effet directement contraire : ils font trembler les honnêtes gens, & raſſurent ceux qui ne le ſont pas. Un honnête homme ne craint point la véracité de Rouſſeau, mais ſes erreurs. Qu’importe qu’il m’ait peint comme il m’a vu, ſi toute ſa vie une bile exaltée lui a donné une jauniſſe cruelle qui défiguroit les objets à ſa vue ? Et quel frippon au contraire, gravé par Rouſſeau, ne dira : Appuie ton burin tant que tu voudras ; mon portrait ne ſera jamais que le pendant de celui de M. Hume. Qu’eſt-ce donc, je vous prie, que cet ouvrage qui effraie la probité & conſole le vice ?

Mais ce n’eſt pas tout : ces menaces que ſemblent faire les Confeſſions de Rouſſeau, ſont devenues de cruelles réalités. On n’a pas beſoin de guider la calomnie ; il ſuffit de l’éveiller. Qu’eſt-il arrivé ?