Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/19

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monument de la mort. Dans cette ſolitude & ce ſilence, ſous ces ombrages, près de ces eaux, aſſis à côté de cette tombe, qu’il ſeroit doux de relire tout ce que cet homme a dit d’impérieux & de tendre, de convaincant & d’aimable aux mères, aux épouſes ; aux maîtres, aux amans, à tous les hommes ! Il ſembleroit que du fond de ſa tombe s’élevât une voix divine pour donner à ſes conſeils la ſanction même des loix. Qu’on aimeroit alors à ſe figurer l’ombre de cet homme de génie errante encore dans ces lieux qu’il aima, & jouiſſant des douces larmes qu’arrachent ſes écrits ! Mais quand on viendroit à ces haines, à ces querelles, à ces accuſations odieuſes, à ces ſoupçons outrageans, quand on verroit cet homme, de Paris à Genève, de Genève à Londres, tout remplir de plaintes, de cris & de ſoupçons ; alors on croiroit entendre un orage troubler la paix de cet aſyle ; on croiroit voir cette ombre s’enfuir en gémiſſant.

Faudra-t-il donc toujours le dire inutilement ? Tout ce qu’il y a de meilleur dans la ſociété civile, c’eſt la paix publique & particulière : nui bien ne peut en dédommager jamais. Le génie eſt ſans doute une belle & grande choſe ; & le feu auſſi eſt un beau & grand phénomène ; admirable quand on en tire la lumière, mais affreux quand il cauſe des incendies. Que veux-je dire ? Qu’il faut ſe mettre à genoux devant un homme de génie comme l’envoyé de Dieu même, quand il ne porte aux hommes que des paroles de vérité, de paix, de concorde & de douceur ; mais qu’il faut le fuir comme un mauvais génie, quand il oſe en proférer de diſſention & de