Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/20

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haine. Eh ! quel homme a plus que Rouſſeau proféré de ces paroles divines ? Mais auſſi quel homme en proféra plus de contraires ? Peu s’en eſt fallu que nous n’ayons pu lire les Lettres de la Montagne ſur les ruines d’une grande ville. Peu s’en eſt fallu qu’on ne vît les genevois ſurvivre à leur patrie, Hume à ſa gloire, & pluſieurs honnêtes gens à leur honneur. Mais ſoyons jufſes : Rouſſeau eût fait tous ces maux ſans le vouloir, ſans le prévoir. Un ſentiment impétueux l’entraînoit, & la fatalité de cet homme exceſſif étoit de mettre le feu par-tout où il vouloit porter la lumière.

Je reviens aux Confeſſions. On a cru ſauver dans cet ouvrage le danger de quelques perſonnalités en ne conſervant que les lettres initiales du nom des intéreſſés ; mais raconter un fait avec toutes ſes circonſtances & dépendances, marquer le tems, le lieu, & donner enſuite charitablement la première lettre du nom des acteurs pour guider l’imagination du lecteur, n’eſt-ce pas montrer le nom au lieu de le dire ? Qu’a donc produit cette ſuppreſſion de quelques lettres ? Tous les noms ont été bientôt devinés ; & ce petit myſtère, en offrant à la malignité tout ce qu’il lui faut de facilité pour nuire, lui a laiſſé tout ce qu’il lui faut d’obſtacles pour l’irriter & nuire davantage : car il me ſemble que le myſtère eſt à la malignité ce que la gaine eſt au couteau : elle en conſerve la pointe.

Je vais propoſer au ſujet des perſonnes déſignées dans les derniers écrits de Rouſſeau, une idée bien-plus ſévère, & peut-être elle le paroîtra trop ; la voici :