Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/22

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Ce que Rouſſeau dit de M. Bovier, eſt un ſimple épiſode occupant à peine une page, & qui l’occupe avec un certain air de négligence & de haſard tout-à-fait ſéduiſant. Rouſſeau ne paroît point du tout chercher M. Bovier, il ne fait que le rencontrer ; mais tout en paſſant, il l’éclabouſſe d’une étrange manière.

“Voici un autre (fait) dit Rouſſeau dans ſa 7 Promenade de même nature, ou à peu-près, qui ne fait pas moins connoître un peuple fort-différent. Durant mon ſéjour à Grenoble, je faiſois ſouvent de petites herboriſations hors la ville avec le Sr. Bovier, avocat de ce pays-là, non pas qu’il aimât ni sût la botanique, mais parce que s’étant fait mon garde de la manche, il ſe faiſoit, autant que la choſe étoit poſſible, une loi de ne pas me quitter d’un pas. Un jour, nous nous promenions le long de l’Isère dans un lieu tout plein de ſaules épineux ; je vis ſur ces arbriſſeaux des fruits mûrs ; j’eus la curioſité d’en goûter, & leur trouvant une petite acidité très-agréable, je me mis à manger de ces grains pour me rafraîchir. Le Sr. Bovier ſe tenoit à côté de moi ſans m’imiter & ſans rien dire. Un de ſes amis ſurvint, qui me voyant picorer ces grains, me dit : Eh ! Monſieur, que faites-vous là ? Ignorez-vous que ce fruit empoiſonne ? Ce fruit empoiſonne, m’écriai-je tout ſurpris ! Sans doute, reprit-il ; & tout le monde fait ſi bien cela, que perſonne dans le pays ne s’aviſe d’en goûter. Je regardois le Sr. Bovier, & je lui dis : pourquoi donc ne m’avertiſſiez-vous pas ? Ah ! Monſieur, me répondit-il d’un ton respectueux, je n’oſois pas prendre cette liberté. Je me mis à rire de cette humilité dauphi-